Faux triomphalisme et éloge d’une paix armée
Souleymane Souza Konaté
D’ordinaire, c’est l’enjeu qui tue le jeu. Cette fois-ci, il n’y a même pas eu de jeu, faute d’enjeux. En l’absence de toute compétition digne de ce nom, il ne pouvait évidemment y avoir ni adversité réelle ni tensions politiques, pourtant naturelles dans tout cycle électoral pluraliste.
Il n’y a qu’un seul acteur, unique, face à un cortège de spectateurs passifs, contraints au silence, à la retraite ou à la résignation sous l’effet des menaces, des intimidations et de la répression. Le calme dont on se réjouit urbi et orbi, et dont on se félicite de manière triomphaliste, ne s’explique ni par une maturité politique soudaine, ni par un sursaut civique salutaire, encore moins par une quelconque unanimité autour du régime ou d’un candidat donné.
Ce calme est la conséquence dramatique du musèlement violent des droits et des libertés, autrefois librement exercés, avant qu’une chape de plomb ne s’abatte, impitoyablement, sur le pays. Le climat dit « apaisé » et la prétendue campagne « civilisée », abondamment évoqués ces derniers temps, traduisent en réalité une vie politique monotone, verrouillée et monopolistique, marquée par le règne sans partage de la pensée unique. C’est l’agonie silencieuse d’une démocratie désormais inexistante.
On s’obstine à contempler le verre à moitié plein en refusant de voir celui à moitié vide. S’il faut constater l’existence d’une paix armée, d’une trêve forcée imposée par la force des baïonnettes, il faut aussi avoir le courage de rappeler que, pour la première fois depuis l’instauration du multipartisme intégral, les partis politiques les plus représentatifs sont suspendus, menacés de dissolution ou interdits de toute activité.
Depuis que la Guinée s’est engagée, tant bien que mal, sur la voie de la démocratie et de l’État de droit, jamais des leaders politiques bénéficiant d’un large soutien populaire, susceptibles de triompher dans les urnes, n’avaient été ainsi disqualifiés d’office, privés de leurs droits les plus élémentaires, y compris de leur citoyenneté inaliénable.
Ce sont là des faits têtus qu’aucune opération de propagande, aussi intéressée ou trompeuse soit-elle, ne saurait effacer ni occulter durablement dans les consciences. Avant de céder à l’autosatisfaction ou de se fier aux apparences pour tirer des conclusions hâtives et douteuses, il est indispensable de regarder dans le rétroviseur et d’ouvrir les yeux sur les multiples régressions et graves transgressions qui désolent les démocrates et patriotes et indignent tous les républicains sincères.
Lorsque toute opposition est proscrite, toute contradiction rendue impossible, lorsqu’un seul son de cloche est autorisé, celui du pouvoir, de ses relais et de ses soutiens déclarés, il ne reste alors que deux choix : se taire et se terrer ou devenir la voix de son maître, en attendant des jours meilleurs.
Enfin, il ne faut jamais perdre de vue que certains calmes précèdent toujours la tempête. D’anciens dignitaires, aujourd’hui rentrés dans les rangs, en ont récemment fait l’amère expérience. Ils s’étaient enorgueillis d’avoir vaincu, d’avoir imposé la paix et le calme, avant qu’un vent violent ne vienne les balayer à leur tour.
Qui a dit que l’histoire ne se répétait pas ?

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