S.O.S pour le Musée Régional de Boké
Dans un bâtiment colonial chargé d’histoire et de blessures, le musée régional de Boké tente de préserver la mémoire de la traite négrière.
Entre archives dégradées, cave d’esclaves et manque criant de moyens, le directeur régional dudit musée, Madiba Guirassy, appelle à la digitalisation et à un véritable sursaut national.
Créé en 1971 dans un ancien campement colonial datant de 1878, le musée régional de Boké demeure l’un des lieux de mémoire les plus marquants de Guinée. Visité par l’AGP, il conserve toujours des archives précieuses, des objets ethnographiques et les vestiges bouleversants de la route négrière.
Un édifice colonial transformé en musée
Installé dans un bâtiment à étage de l’époque coloniale, le musée abrite, au premier niveau, des archives administratives et civiles. Au rez-de-chaussée, les salles se répartissent entre exposition ethnographique et galerie historique.
« À gauche, nous conservons des œuvres d’art décrivant les coutumes des ethnies de Kakandé notamment les Bagas, Nalous, Landoumas, Mikifhoré. À droite, la salle historique présente les portraits des grandes personnalités qui ont marqué l’histoire de la Guinée », explique le directeur Madiba Guirassy.
Mais c’est derrière le bâtiment que se trouve la partie la plus sombre du site : la cave esclavagiste, où étaient enfermés des captifs achetés clandestinement après l’abolition de 1848.
Trois cellules pour l’inhumain
Selon Madiba Guirassy, la cave comporte trois cellules destinées à « trier » les captifs : « La première pièce ne pouvait normalement contenir que dix personnes, mais on y entassait jusqu’à 300 », raconte-t-il.
Il poursuit : « Les plus résistants ou ceux qui tentaient de se rebeller étaient envoyés dans une seconde salle d’isolement. En cas de persistance, ils étaient conduits dans la troisième pièce, celle de la torture. Beaucoup y périssaient. »
Les victimes étaient ensuite conduites de nuit vers le quai négrier, en empruntant tristement le chemin de non-retour, avant d’être embarquées à bord de voiliers. « Ils étaient transférés clandestinement vers les grands navires du commerce triangulaire en direction de Salvador, Trinidad ou des États-Unis », précise-t-il.
Un musée né de ruines
À sa création, le musée n’était pas destiné à devenir un espace d’exposition. L’édifice, abandonné après le départ des colons, était « dans un état de délabrement indescriptible ».
« La toiture en tuiles était totalement abîmée, les murs fissurés et les documents coloniaux gâtés. Il a fallu restaurer d’urgence le bâtiment, puis collecter patiemment les œuvres des différentes ethnies du Kakandé. C’est ainsi que le musée a pris forme », explique Guirassy.
Au fil des années, plusieurs partenaires internationaux notamment le Canada, les États-Unis et l’Allemagne, ont apporté leur soutien, réunis dans l’association Les Amis du Musée. L’ex-chef d’état-major général des armées, le feu général Mohamed Diané, avait financé d’importants travaux en 2021.
Un patrimoine majeur porté par des bénévoles
Malgré sa valeur historique inestimable, le musée fonctionne de nos jours dans des conditions précaires. « Le personnel travaille bénévolement depuis près de vingt ans. Il n’y a ni salaire, ni subvention stable, ni accompagnement », déplore le directeur.
Les modestes réformes engagées, notamment la tarification des visites, permettent seulement d’entretenir les guides, le gardien et le chemin des esclaves, régulièrement envahi par la végétation.
Digitalisation et visibilité : l’urgence de la modernisation
Pour Madiba Guirassy, l’enjeu principal est désormais la modernisation du musée et sa promotion internationale : « La visibilité manque. Un Sénégalais de l’organisation ouest-africaine CEDEAO m’a confié que le musée de Boké est historiquement plus riche que l’île de Gorée. Alors pourquoi reste-t-il si peu connu ? »
Selon lui, l’absence de promotion et d’investissements durables explique cette situation. Il se dit toutefois encouragé par les réformes en cours.
« Le gouvernement bouge. J’ai participé à trois rencontres, et Expertise France a déjà lancé la digitalisation des musées guinéens. Nos grandes œuvres sont exposées à l’étranger ; pourquoi ne pas valoriser notre patrimoine ici, en Guinée ? »
Le musée régional de Boké est à la fois un sanctuaire de mémoire et un cri d’alarme. Riche d’un patrimoine unique lié à l’histoire de la traite négrière et aux cultures du Kakandé, il survit grâce au dévouement de bénévoles et au soutien ponctuel de partenaires étrangers.
La digitalisation et une véritable politique nationale de valorisation pourraient enfin offrir à ce lieu, témoin des douleurs du passé, la reconnaissance qu’il mérite. Boké n’attend plus que cela pour retrouver sa lumière.
AGP

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