03 novembre 2017 - 03 novembre 2025: Aboubacar Somparé, 8 ans après, HOMMAGE À UN HOMME D'ÉTAT
Par Abdoulaye Condé
Né le 31 août 1944 à Dakonta ( Boké), Elhadj Aboubacar Somparé, l'ancien Président de l'Assemblée Nationale a été rappelé, le jeudi 2 novembre 2017, à ALLAH, NOTRE CRÉATEUR.
Ce décès de celui que je qualifie D'HOMME D'ÉTAT plonge toute la Nation Guinéenne dans le deuil. Ceux qui l'ont connu ou approché, les millions de Guinéens anonymes qu'il a reçus dans ses différentes responsabilités pleurent et prient pour un Homme intègre, honnête, dévoué qui n'avait ni ethnie, ni région.
C'était simplement un GUINÉEN, comme on en trouve rarement dans la haute sphère, à l'écoute et au service de ses compatriotes, surtout les plus nécessiteux, sans la moindre curiosité de savoir d'où sont originaires ceux qui viennent solliciter sa bienveillance. Ses collaborateurs, partout où il est passé, étaient également choisis sur des critères objectifs et rationnels.
La carrière politico-administrative de celui que le feu Président Ahmed Sekou Touré découvre et surnomme, dans les années 60 - 70, "le crack de Labé" où le jeune diplômé de l'université nationale entame sa vie professionnelle comme Directeur régional de l'éducation, illustre la dimension culturelle, la créativité, l'inspiration, les qualités humaines et la forte personnalité d'Aboubacar Somparé. Bref, un doué sinon surdoué respecté.
À Labé parallèlement à ses fonctions administratives au niveau de l'Éducation, il s'impose rapidement comme l'un des grands animateurs et responsables en vue du Parti-Etat, le PDG. Dans la capitale de la Moyenne Guinée et ses régions ainsi que ses arrondissements même les plus reculés, le jeune cadre, respectueux et intelligent tisse de solides amitiés au sein de la notabilité, des cadres, des élèves et des villageois qu'il gardera durant toute sa vie.
Avec la Famille Dalein, il noua des relations humaines et spirituelles si fortes que l'ambassadeur de Guinée en France recevait souvent des LIVRES SAINTS offerts par le père de Famille à chaque fois que le futur Premier ministre Guinéen et Président de L'UFDG, Cellou Dalein Diallo se rendait en mission à Paris quand il était jeune cadre fonctionnaite dans les années 70 - 80. À propos, il me confia un jour avant une interview accordée à DJIGU FM, que l'ancêtre de Cellou Dalein Diallo était SOUARÉ.
En Haute Guinée, en Guinée Forêstière ou en Guinée Maritime, également, Aboubacar Somparé se sentait toujours chez lui, et partout sur le territoire national se trouvaient ses amis, frères et parents. Le frère de feu Zainoul Abidine Sanoussy, Sidya Touré, Syma Diallo, de Thiam du CEDUST, l'ami de Kodiougou Diallo, de feu Mamady Diawara "Yaourt", de feu Almamy Kerfalla Soumah " Don Soumah", père de l'artiste Mouctar Soumah alias Takana Zion etc. Il avait pour Zainoul Abidine Sanoussy une sorte de fraternité soumise.
Mais, à Labé où il découvre réellement la responsabilité, sa conduite qui dénote un sens du management hors du commun, impressionne davantage le Président Ahmed Sekou Touré qui a désormais pour Aboubacar Somparé, une admiration et une confiance qui ne seront plus jamais démenties jusqu'au 26 mars 1984, date du décès du premier Président Guinéen.
C'est dans cette logique qu'il le nomme, en 1976 - 77, Directeur Général de la Radiodiffusion Nationale, une fonction hautement stratégique sous la première République d'autant que son titulaire était pratiquement inséparable du Responsable Suprême de la Révolution et assistait à toutes les audiences de ce dernier. Dans cette première responsabilité de grande portée politique nationale et internationale, Aboubacar Somparé dirige et réalise le projet de lancement de la Télévision Guinéenne, le 14 mai 1977. À ce titre, l'histoire retiendra qu'il est le Père de la Télévision Guinéenne.
Ce succès renforce la côte du très compétent haut cadre auprès du Président de la République Ahmed Sekou Touré et du BPN. Ainsi, suite à la réconciliation après des années de brouille, Aboubacar Somparé est nommé, fin 1977 dans la redoutable et sensible fonction d'ambassadeur de Guinée en France.
Là, il se fait rapidement remarquer et se dote d'un réseau d'amitiés dans la classe politique française notamment avec Le Gaulliste Jacques Chirac à l'époque Premier ministre et Maire de Paris. À ce Gaulliste convaincu et à tous les héritiers politiques de l'homme du 18 juin, il s'emploie à expliquer le sens du vote du 28 septembre 1958 en faveur de l'indépendance qui "n'était pas un signe d'hostilité au Président français ou à la France". Il réitère "l'amitié, la bonne foi et la disponibilité du Président Guinéen pour la France ainsi que son respect pour le patriotisme du Général Charles de Gaulle".
Cet effort diplomatique contribue à dénouer la crise entre le régime révolutionnaire et les gaullistes et favorise une première rencontre entre le Président Ahmed Sekou Touré et leur leader Président du RPR, Jacques Chirac au Maroc en 1979 en présence du Roi Hassan II.
Mais, Aboubacar Somparé a surtout le merite de relancer la coopération bilatérale, de participer, aux côtés de NFanly Sangaré, chef de mission et d'autres hauts cadres, aux négociations sur le contentieux Franco- Guinéen aboutissant à un solde créditeur important en faveur de la Guinée avec le dédommagement de notre pays dans certains aspects matériels et financiers, d'obtenir la visite du Président Valéry Giscard d'Estaing en Guinée, en décembre 1978, d'organiser la visite d'État du Président Ahmed Sekou Touré en France en automne 1982.
Bref, il a rapproché la Guinée et la France officielles. Difficile mission à l'époque quand l'on se souvient que le Président Ahmed Sekou Touré, incompris des gaullistes, était aussi en froid avec l'ancien Premier secrétaire du Ps et nouveau Président Français, François Mitterrand dépuis une de ses sorties publiques musclées en 1978 au Palais du Peuple, dont seul le responsable suprême avait le secret, contre le parti du nouveau locataire de l'Elysée traité "de parti de la souillure, de la pourriture française ".
Sous les directives du Président de la République et de la diplomatie Guinéenne, Aboubacar Somparé réussit à dissiper tous ces malentendus et contribua à changer les mentalités en France envers la Guinée et son régime.
Après le coup d'État du 03 avril 1984, consécutif au décès du Président Ahmed Sekou Touré le 26 mars de la même année, le CMRN au pouvoir voit Aboubacar Somparé comme un symbole rescapé du régime défunt du PDG dont tous les dignitaires étaient mis aux arrêts.
Cette perception expliquera et guidera la mauvaise nature des rapports entre le nouveau Président Guinéen, Lansana Conté et le diplomate du défunt régime révolutionnaire, Aboubacar Somparé.
Limogé de ses fonctions d'ambassadeur et nommé Conseiller du ministre d'État chargé de la Fonction publique, en l'occurrence, Capitaine Mamadou Baldé à l'époque, Aboubacar Somparé comprends le jeu de la mise à l'écart quand il me confie, non sans ironie, " Conseiller du ministre, je ne vois pas le ministre.."
Mais, le nouveau régime militaire composé de néophytes ne peut, dans un pays en crise de ressources humaines de cadres expérimentés, ignorer les rares compétences et expériences disponibles. Et, rapidement, Aboubacar Somparé retrouve la haute sphère avec les fonctions d'administrateur du Palais des Nations, en 1985, et celles de Recteur de l'université Gamal Abdel Nasser de Conakry, en 1986.
Là, le reflexe d'ancien étudiant de l'IPGAN sous la Révolution l'amène à organiser et à responsabiliser les étudiants par la mise en place d'un Comité de Coordination à l'image des fameux Conseils d'administrations (CA) très politisés sous le régime du Parti État.
Avec cet acte, le successeur du Président Ahmed Sekou Touré et son entourage estiment que Somparé, déjà accusé de s'être affiché hostile à la prise du pouvoir par les militaires, reste toujours un adepte du prédécesseur du Président Lansana Conté. Ils n'avaient pas totalement tors, d'autant que Somparé, lors des conférences culturelles qu'il a initiées, n'hésitait pas à défendre publiquement tout ce qu'il qualifie "d'acquis de la première République" quand un étudiant ou un conférencier était tenté de critiquer l'ancien Président ou de déformer l'histoire.
À cette période où les partis politiques et les futurs leaders n'existaient pas, la simple évocation du défunt régime du PDG constituait une manifeste opposition inacceptable et impardonnable pour le régime militaire du CMRN. Avec ces prises de position publique, Somparé s'expose et donne des arguments à ceux qui réclament sa tête au CMRN.
Mais, le Recteur professeur de Mathématiques se soucie peu du danger qu'il court, il se concentre sur la mission qu'il s'est assignée, ouvre les portes de l'université aux spécialistes et experts étrangers venant régulièrement donner des cours, équipe et modernise les laboratoires et instaure un système permanent de Conférences culturelles animées par des sommités intellectuelles Guinéennes et étrangères ainsi que les membres du Gouvernement.
Edgard Pisani, ancien ministre Français de l'agriculture , ancien Commissaire Européen, Claude Cheyson, ancien ministre des relations extérieures de France, ancien Commissaire de la CEE, le Professeur René Dumont, auteur de "l'Afrique noire est mal partie ", le Professeur Lancinet Kaba, de l'université de Minnesota et beaucoup d'autres célébrités scientifiques, littéraires, politiques ou économiques se succèdent à la tribune de la salle de conférence de l'université Gamal Abdel Nasser.
À travers le 25ème anniversaire qu'il organise avec grand succès, Aboubacar Somparé parvient à fixer le regard du nouveau pouvoir sur les problèmes et l'importance de l'université Gamal Abdel Nasser. Il disait souvent à ses interlocuteurs dans ses années 80 que : " l'avenir se trouve en Asie ". Avec le boom économique et technologique des pays asiatiques aujourd'hui, il faut avouer que Somparé avait une vision pragmatique du monde.
Proche des étudiants, il reste pour Dr Alpha Amadou Bano Barry, Mohamed Max CamaraMohamed Max Camara, Mamadou Dian Diallo, Georges Kantabandouno, Abdoulaye Djibril Diallo, et moi même, qu'il chargea de réfléchir sur la nouvelle université après l'ère du parti-Etat, la première référence intellectuelle, citoyenne et patriotique.
Mais aussi pour feu Louseny Camara, Abdoulaye Chéri Camara, Tidiane Soumah, Mamady Diomandé, Alph Oumar Baw Kaba qui ont relancé l'animation culturelle de Gamal Abdel Nasser à travers l'universitaire pour la culture et le spectacle, Mohamed Fadil Camara ainsi que pour les responsables du Comité de Coordination feu Condetto Camara, Thierno Sadou Bah, Mahmoudou Chérif, Lalla Niane, Ciré Camara, feu Niouma Bandabella Mossignna Koivogui, Mafory Bangoura, Mahmoud Cherif Haidara, Saliou Barry etc.
Cependant, toujours perçu comme le survivant du régime abattu, Aboubacar Somparé tombe à nouveau dans la disgrâce suite à un bruyant mouvement estudiantin réclamant certains droits à l'Etat en 1989. Il est limogé avec fracas par le Président Conté qui charge son ministre secrétaire général, geu René Alseny Gomez, d'aller justifier devant les étudiants indignés l'impopulaire décret.
Ce limogeage spectaculaire et la conférence explicative du ministre secrétaire général constituent pour Somparé une véritable humiliation publique, la première dont il est victime depuis le début de sa carrière professionnelle.
Repris, la même année, il expérimente le Projet d'ajustement structurel de l'éducation (PASE) et permet à la Guinée de bénéficier de nombreuses infrastructures scolaires financées par les bailleurs de fonds. Son succès à ce niveau n'est pas de bon goût.
Pour l'éloigner de la gestion de ces fonds importants qu'on découvre au PASE, il "bénéficie d'une promotion " comme secrétaire général au ministère de l'administration du territoire en 1991. Une fonction qu'il perd d'ailleurs peu avant la légalisation des partis politiques, le 03 avril 1992. Comme pour dire que la rupture est déjà consommée avec le chef du régime pour lequel il consacrera pourtant toute les dernières énergies de sa vie.
Depuis, l'homme s'est engagé dans la politique. Ainsi, il abandonne son projet de parti et s'associe à des amis pour fonder le PUP, le parti au service du Président Lansana Conté. Pour l'élection et les réélections de ce président militaire ( 1993, 1998, 2003), Aboubacar Somparé n'a jamais ménagé ses efforts.
Mais, le Général Lansana Conté, dans sa logique, n'a été que peu reconnaissant et n'a pas aidé ou accepté Aboubacar Somparé comme un vrai partisan. Son élection au secrétariat général du PUP, en 1995, après l'élection de son prédécesseur Elhadj Boubacar Biro Diallo à la Présidence de l'assemblée, a été imposée au Général Lansana Conté qui continua à considérer Aboubacar Somparé comme un intérimaire.
Au secrétariat général du PUP, il oeuvra de toutes ses forces pour un parti réellement national, ouvert à toutes les régions naturelles, où toutes les sensibilités pouvaient se retrouver et s'exprimer. Dans tous ses discours au siège ou ailleurs, il n'a cessé de promouvoir la culture de la paix, de l'unité et mettre en garde les faucons et adeptes du régionalisme au sein du PUP.
Il instaura un programme de formation au siège du parti que des cadres comme Naby Youssouf Kiridi Bangoura et d'autres animaient à l'intention des militants et responsables. Au début du processus démocratique en 1992, sur les leaders politiques de l'opposition, diabolisés par l'aile extrémistes du pouvoir, Somparé avait un avis contraire courageux mais honnête qu'il exprima lors d'une des nombreuses interviews qu'il était toujours disponible à me donner: " Ma conviction est que ce sont tous des patriotes, mais je doute qu'ils connaissent la Guinée et les Guinéens, ils ont besoin encore d'apprendre à connaître le pays".
La nomination de son ami d'enfance, Sidya Touré, en juillet 1996, à la Primature et la formation d'un gouvernement d'ouverture par un Président de la République, fortement secoué par la mutinerie des 2 et 3 février, confronté à une profonde crise sociopolitique avec le tarissement des financements extérieurs, étaient beaucoup plus dictées par les nécessités du moment, par calcul pour le Général Lansana Conté que par une quelconque amitié ou sens de collaboration avec Aboubacar Somparé, à l'époque secrétaire général du PUP.
Même la présidence de l'assemblée nationale, Aboubacar Somparé ne l'a arrachée que grâce à ses qualités politiques, les choix et préférences du Général Lansana Conté étant Saikou Yaya Baldé, Elhadj Sory Doumbouya et Henry Toffany. Ces trois personnalités n'ayant pas pu faire le poids pendant le débat interne qui a précédé la désignation du candidat du PUP au perchoir, le Président Lansana Conté a abdiqué.
Mais, auparavant il avait totalement charcuté la liste initiale du PUP à la députation du 30 juin 2002 en gommant les noms de tous les proches de Somparé et en inscrivant des noms parfois inconnus des militants.
Président de l'assemblée, Aboubacar Somparé, sans être fracassant comme le doyen Biro Diallo, s'est montré défenseur des valeurs comme la libéralisation des ondes, le contrôle de la gestion du gouvernement, l'équilibre des pouvoirs.
Il plaida publiquement et solennellement la libération du Président du RPG, Alpha Condé quand le candidat et président du RPG a été appréhendé, lors de la présidentielle de decembre 1998, à Pinet ( Lola) et incarcéré sans aucune forme de procès.
Ses discours d'ouverture et de clôture des sessions de l'assemblée étaient toujours des tribunes pour promouvoir la bonne gouvernance. Il n'a jamais milité pour le référendum constitutionnel voulu par le Président Lansana Conté et son entourage en 2001.
D'ailleurs, à travers certains de ses bras armés, feu Almamy Fodé Sylla et feu Saikou Yaya Baldé, le Président Lansana Conté a fait initier un projet de loi visant à modifier et à réduire de 5 ans à 1 an l'article qui consacre l'élection et la durée du mandat du Président de l'assemblée nationale. Mais, avec le début de la détérioration de son état de santé avec un premier malaise public au Stade de la Mission de Kaloum en 2002 et une chute à la Mêcque l'obligeant à annuler l'étape Japonaise de sa visite d'État en 2003, a contraint le Général Lansana Conté à abandonner ce projet et à s'occuper prioritairement de ses soins.
Par rapport à tous ces agissements visant à lui barrer la succession, il me confia "regretter de constater la méchanceté du Général Lansana Conté " .Cette méchanceté qui donna naissance au coup d'État du Capitaine Moussa Dadis Camara, le 22 décembre 2008, dès après la mort du Général Lansana Conté et plongea Aboubacar Somparé dans la maladie qui vient d'avoir raison de lui.
À la présidentielle de 2010, il vote Alpha Condé contrairement à la consigne du PUP qui s'était rallié au second tour Cellou Dalein Diallo. En définitive, la faiblesse politique ou naïveté politique du "mal aimé" du Président Conté et du système auquel Somparé est resté loyal, franc et fidèle et dévoué, surtout objectif, est d'avoir pensé et cru pouvoir se construire jusqu'au bout au milieu de cette tenace toile avec laquelle ses rivaux le couvraient chaque jour davantage.

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