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Justice en mode boussole : quand le gouvernail reste introuvable

Justice en mode boussole : quand le gouvernail reste introuvable
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Par Abou Maco
En Afrique, le problème de la justice est à la fois structurel, culturel et profondément paradoxal. Il réside non seulement chez les décideurs et les magistrats, mais aussi, de manière troublante, au sein même des populations qui la réclament à cor et à cri, tout en s’arrangeant souvent pour en torpiller l’application lorsque celle-ci ne les avantage pas.
Le 5 septembre 2021, à son avènement, le CNRD promettait une gouvernance placée sous le sceau d’une justice érigée en boussole. Mais très vite, cette boussole s’est mise à tourner follement, comme affolée par un champ magnétique mal calibré. Le premier grippage du compas a surgi avec la création de la CRIEF, la Cour de répression des infractions économiques et financières. Un outil présenté comme le bras armé de la probité nationale, mais qui allait rapidement révéler ses failles.
Dès la nomination du procureur spécial, le doute s’est installé. Un jeune homme manifestement encore en stage d’humanité juridique, propulsé à un poste réclamant rigueur, technicité et hauteur. Résultat : une incapacité notoire à suivre la complexité des dossiers économiques dont il avait la charge. Pire, il s’est vu régulièrement corrigé, contredit, et parfois même humilié par des prévenus, bien plus aguerris que lui aux arcanes de la gestion publique et des subtilités administratives. Mais l’époque était à l’anti-recyclage : l’expérience était suspecte, et la jeunesse érigée en vertu absolue.
Certes, ces prévenus n’étaient pas des saints, et beaucoup auraient difficilement obtenu un certificat de bonne gouvernance. Mais ce n’était certainement pas ce procureur, manifestement dépassé par les événements, qui allait les confondre sur le terrain du droit. Blessé dans son orgueil, animé peut-être par une volonté de revanche ou une quête de reconnaissance à tout prix, il aurait alors entrepris une croisade personnelle : faire tomber ces figures encombrantes, quitte à tordre un peu le droit. Juste un peu. Puis beaucoup. Puis continuellement.
De fil en aiguille et par les troublants agissements de ce procureur, l’opinion publique s’est mise à suspecter une immixtion de l’exécutif dans les affaires judiciaires. L’idée d’une justice instrumentalisée pour des règlements de comptes politiques faisait son chemin. Et pourtant, nul ne s’est réellement interrogé sur une autre hypothèse : et si ce procureur avait lui-même convaincu les autorités de transition – peu versées en droit, mais très à l’aise avec les kalachnikovs – de la pertinence de sa croisade ? Après tout, avec quelques arguments juridiques bien ficelés et un ton assuré, il n’est pas si difficile de rallier à sa cause des décideurs qui ne maîtrisent pas le code pénal, mais savent reconnaître un ton de certitude quand ils l’entendent.
Mais à force d’erreurs, d’excès de zèle et de confrontations publiques, ce procureur est devenu encombrant. Trop exposé pour être désavoué sans dégâts, trop engagé pour être retenu sans conséquence. Il s’est figé dans le décor comme un problème insoluble que personne ne voulait plus porter : « c’est son problème, c'est lui qui l'a créé, qu’il se débrouille ». Hélas, en le laissant s’embourber, on a ouvert la voie à tous ceux – acteurs rancuniers et activistes partiaux – qui rêvaient de solder leurs comptes à couvert de vertu.
Quant aux populations, elles ont vu dans cette situation une injustice non contre des criminels, mais contre leurs leaders politiques, leurs bienfaiteurs, leurs représentants. Et de cette perception est née une indignation sélective : on ne défendait plus la justice, mais sa justice. Certains exigent aujourd’hui que le Président de la transition « libère » leurs leaders, oubliant que l’on ne peut ni gracier, ni amnistier des personnes non encore jugées ni condamnées.
Le CNRD se retrouve ainsi avec une patate judiciaire brûlante dans la main : Aly Touré. Des accusés vieillissants, fatigués, parfois diminués et même à l'article de la mort, dont la dangerosité politique est discutable, mais qui continuent d’empoisonner le débat public. Le dilemme est entier : comment se débarrasser du procureur sans se tirer une balle dans le pied ? Comment corriger sans désavouer ? Comment apaiser sans renier ?
Le vrai drame, c’est que le CNRD n’a jamais trouvé un ministre de la Justice capable de reprendre la main sur cet imbroglio. Le seul qui aurait pu, par sa verve, son audace et son instinct politique, mettre un terme à cette errance judiciaire, fut Charles Wright. Mais il a chuté, victime de ses propres fragilités et de quelques affaires privées habilement exploitées par ses adversaires du même bord, faisant de lui une personnalité moralement inexploitable. Depuis, c’est le vide. L’actuel ministre, reconduit dans l’indifférence générale, donne l’impression d’être là sans y être, de gérer sans gouverner.
Et pendant ce temps, la boussole de la justice continue de tourner dans le vide, faute de main ferme sur le gouvernail.
Alors, que faire ?
Pour le Général Mamadi Doumbouya, la meilleure porte de sortie serait une véritable révolution de rupture : reprendre le contrôle du système judiciaire avant que celui-ci ne s’enfonce davantage dans l’impopularité.
L’entendra-t-il ainsi ?
L’avenir nous le dira.

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