Pour une Afrique fédérale, souveraine et décolonisée

Par Abdoulaye J Barry
Le 2 octobre est une date mémorable. Elle marque l’indépendance du premier pays de l’Afrique noire francophone à avoir eu le courage de choisir la souveraineté totale, en disant « NON » à la proposition française d’une pseudo-communauté.
Cette date ne symbolise pas seulement la libération de la Guinée. Elle incarne aussi l’espérance de tout un continent en quête de dignité, de souveraineté et d’autodétermination. Malheureusement, près de sept décennies après cet acte fondateur, force est de reconnaître que l’idéal de 1958 reste largement inachevé. Nos drapeaux flottent, nos hymnes résonnent, mais nos peuples demeurent prisonniers d’un héritage colonial que nos élites n’ont jamais su ou voulu briser.
L’indépendance inachevée
Nos nations restent corsetées dans des frontières artificielles, des langues imposées, des constitutions copiées et des systèmes éducatifs conçus non pour émanciper mais assujettir. L’Afrique ne sera véritablement libre que lorsqu’elle se sera affranchie des lignes imaginaires tracées par les colons, libérée des langues héritées de la domination et débarrassée d’un système éducatif qui perpétue l’aliénation.
À quoi bon proclamer notre indépendance à grands cris, lorsque nous continuons de nous entretuer pour défendre des frontières qui n’ont aucun ancrage dans notre histoire, mais qui furent tracées pour semer la discorde et empêcher les États africains d’émarger ?
À quoi bon clamer notre liberté si nous acceptons d’opprimer, d’exclure et parfois d’éliminer nos propres frères et sœurs pour protéger un système conçu par ceux-là mêmes que nous disions combattre ?
Il suffit de parcourir nos constitutions et nos manuels scolaires pour comprendre que l’indépendance n’a parfois été qu’un passage de témoin. Les colons européens ont cédé leur place à des élites africaines formées dans leurs écoles, imprégnées de leurs schémas de pensée et chargées d’assurer la continuité de leurs intérêts. Nos drapeaux ont changé, mais pas les structures laissées par le colon. L’indépendance n’a pas brisé les chaînes : elle les a seulement repeintes aux couleurs de nos nouveaux drapeaux.
Notre part de responsabilité
Il est facile de s’en prendre aux seuls colons. La vérité est que nous sommes aussi le problème. Le colon n’avait ni les moyens ni les effectifs pour contrôler chaque portion de nos vastes territoires. Sa domination a reposé sur une stratégie redoutable : se servir de certains Africains pour en soumettre d’autres.
Il a réussi à nous diviser pour s’imposer. D’un côté, il a regroupé dans des entités artificielles des communautés diverses, accentuant leurs différences pour les opposer. De l’autre, il a formé des « auxiliaires » indigènes, des petits fonctionnaires et cadres administratifs, loyaux à la métropole et étrangers à leur propre peuple. Ces Africains, dressés à admirer la langue et la culture du colon, ont souvent fini par mépriser les leurs.
Ce sont eux qui, à l’indépendance, ont pris la place du maître sans remettre en cause les fondations de son édifice.
Voilà pourquoi la France et d’autres puissances n’avaient pas opposé une grande résistance aux indépendances : elles savaient que leurs intérêts seraient préservés; que les frontières de la Conférence de Berlin seraient maintenues.
Ainsi, la langue du colon est restée officielle, l’économie tournée vers l’exploitation des ressources au profit des anciens maîtres. Les « pères de nos indépendances » n’ont pas déconstruit le système colonial ; ils s’en sont accommodés, parfois même avec zèle.
Remplacer Paris par Moscou ou Pékin
Prétendre « chasser la France » tout en érigeant le français en langue officielle ou en langue unique de travail n’est qu’une illusion. Déclarer notre indépendance tout en copiant continuellement la Constitution française de 1958 est un aveu de faiblesse et une insulte à la mémoire de ceux qui ont lutté pour la liberté.
L’indépendance ne se réduit pas à changer de maître, elle consiste à reprendre possession de soi-même, de sa pensée, de sa langue et de son destin.
Or, nos élites, trop longtemps habituées à la dépendance mentale et intellectuelle, confondent encore l’émancipation avec le changement de tutelle. Pour ces intellectuels paresseux, s’affranchir ne signifie pas assumer pleinement notre souveraineté, mais remplacer Paris par Moscou ou Pékin, quitter le giron occidental pour se soumettre au pillage de nos ressources par de nouvelles puissances, qu’elles soient chinoises, russes, ou d’ailleurs.
Tant que nous n’aurons pas compris que l’indépendance véritable n’est pas un transfert d’allégeance mais une reconquête totale de notre dignité et de notre autonomie, nous resterons enfermés dans un cycle d’asservissement permanent.
Rien ne changera tant que persistera cette mentalité héritée du colonialisme, qui nourrit et perpétue un système de soumission et de dépendance. Sans une réforme profonde, nos élites continueront à reproduire les comportements de l’ancien colon, vivant dans le luxe insolent loin des masses appauvries.
Une Afrique fédérale
Si nous voulons bâtir une Afrique nouvelle, nous devons avoir le courage de revisiter notre histoire, d’affronter nos contradictions et de rompre avec l’héritage colonial qui continue d’empoisonner nos sociétés.
Il nous faut redéfinir la notion de Nation, non comme un héritage imposé, mais comme une construction volontaire, ancrée dans nos cultures, nos langues et nos réalités.
L’avenir de l’Afrique réside dans l’autodétermination des peuples et dans un fédéralisme africain, fondé sur des territoires autonomes, respectueux des diversités culturelles, linguistiques et sociales, mais unis par une vision commune : celle de la dignité, de la justice et de la prospérité partagée.
Cet avenir exige aussi une révision profonde de nos programmes académiques, afin qu’ils cessent de produire des « élites aliénées ». Nos programmes doivent devenir des outils d’émancipation, de créativité et de progrès.
L’amour de la patrie, le sens du sacrifice et la fidélité aux intérêts du peuple doivent devenir les fondations de notre système éducatif, enraciné dans nos réalités, nos savoirs endogènes et nos besoins. Par-dessus tout, il doit reposer sur l’enseignement de nos langues et dans nos langues, car une nation qui pense et rêve dans la langue de l’autre ne sera jamais véritablement maîtresse de son destin.
C’est à ce prix, et seulement à ce prix, que l’Afrique cessera de célébrer une illusion d’indépendance pour devenir enfin le continent de la liberté, de la dignité et de l’espérance.
Vive l’Afrique libre et souveraine!
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